Marchés publics: Le BTP craint la double peine
Le désarroi s’installe chez les entreprises de BTP. Le confinement imposé par le décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire a complètement chamboulé leur agenda. L’écrasante majorité des chantiers sont actuellement à l’arrêt pour deux raisons.
D’abord, l’interdiction par le ministère de l’Intérieur d’un certain nombre d’activités dont la distribution des matériaux de construction et de tous les intrants utilisés dans le BTP. Seules les activités relatives à l’alimentation, à la santé, au transport,… restent autorisées.
Ensuite, les entreprises du BTP font face à un départ massif des ouvriers dans leur région d’origine depuis le confinement de la population. «Il y a une incertitude qui entoure la date de départ de la situation de force majeure si l’on suit la chronologie des événements depuis le 20 mars, date de publication de la liste des activités autorisées à continuer pendant l’état d’urgence. Sachant que le décret-loi ne dit pas explicitement arrêt du travail. Par conséquent, il persiste une ambiguïté entre le décret-loi et la lettre du ministre de l’Intérieur», déclare Me Kamal Habachi, avocat d’affaires, associé au cabinet HB Law.
«Depuis que le gouvernement a imposé le confinement, l’écrasante majorité des ouvriers sont répartis auprès de leur famille en région puisqu’ils sont éligibles à l’indemnité CNSS de 2.000 DH», explique un opérateur. Pour l’exécution d’un marché dans la région de Marrakech, il a dû louer un logement à proximité du chantier pour les ouvriers. A la proclamation de l’état d’urgence, ils sont tous partis. C’est une situation spécifique à la plupart des entreprises de BTP. Selon la Fédération du BTP, les rares chantiers encore opérationnels tournent à moins de 40% des effectifs.
Le gouvernement a été alerté via la CGEM au sujet des «employés de chantiers qui, pris de panique, désertent le travail, ce qui paralyse les chantiers». Dans ces conditions, impossible d’être dans les délais de livraison. Pour les opérateurs de BTP, la situation équivaut à un cas de force majeure, notion juridique qui leur permet de repousser sans pénalités les délais de réalisation des chantiers.
Le ministre des Finances a répondu à cette requête via une circulaire datée du jeudi 2 avril sur la simplification des procédures liées aux marchés publics de l’Etat et des collectivités territoriales. La note du ministre indique que «dans le cas où l’exécution des marchés publics aurait été impactée par les mesures d’état d’urgence, les maîtres d’ouvrage peuvent, après avoir été saisis par les entreprises concernées, faire application, au cas par cas, des dispositions de l’article 47 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de services portant sur les prestations d’études et de maîtrise d’oeuvre». Pour les prestations d’études et de maîtrise d’oeuvre, c’est l’article 32 du CCAG relatif aux marchés de services qui s’applique.
Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. L’article 47 dispose «qu’en cas de survenance d’un événement de force majeure, l’entrepreneur a droit à une augmentation raisonnable des délais d’exécution qui doit faire l’objet d’un avenant».
Pour invoquer le cas de force majeure, l’entreprise titulaire d’un marché public doit, dès l’apparition d’un tel cas, et dans un délai de 7 jours, adresser au maître d’ouvrage une lettre recommandée, justifiant les éléments constitutifs de la force majeure et ses conséquences probables sur la réalisation du marché. Sauf que cette disposition est difficilement applicable dans le cas de la pandémie du coronavirus et de l’état d’urgence sanitaire.
En effet, à partir de quelle date le délai de 7 jours doit-il commencer à courir? A partir de la date d’institution des premières mesures de confinement, du 20 mars, date d’instauration de l’état d’urgence sanitaire, ou du 24 mars date de son entrée en vigueur?
Ce délai court-il depuis le 2 avril, date de diffusion de la note du ministre des Finances? Puisque cette dernière n’a pas fait l’objet d’une publication au Bulletin officiel, elle n’est pas opposable aux entreprises en cas de litige. Par ailleurs, le tribunal ne peut invoquer la forclusion si une entreprise n’a pas saisi le maître d’ouvrage dans le délai de 7 jours puisque le gouvernement n’a pas prévu de date à partir de laquelle ce délai commence à courir.
En outre, l’article 269 du code des obligations et contrats (DOC) traite le cas de force majeure qui est «tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation».
Le fait du prince s’applique justement à la décision du gouvernement d’arrêter de manière subite certaines activités dont le commerce et la circulation des matériaux de construction.
Pourquoi une consigne expresse
«T ANT que le gouvernement n’aura pas décrété une date pour le comptage du cas de force majeure, l’application du délai de 7 jours n’a aucun sens parce qu’elle ne correspond à aucun événement défini de manière officielle. Le risque maintenant pour les entreprises dont les chantiers sont actuellement à l’arrêt, c’est que faute d’une instruction expresse, «les maîtres d’ouvrage continueront à comptabiliser les délais initiaux et même à appliquer des pénalités de retard», indique la Fédération nationale du BTP dans une note adressée à la CGEM. La Fédération demande au gouvernement de déclarer le cas de force majeure. A défaut, l’imbroglio généré par l’article 47 du CCAG et la note du 2 avril 2020 du ministre des Finances entraînerait des centaines de litiges. En effet, comme on ne peut mener une bataille sans soldats, la plupart des chantiers ouverts avant la crise ne seront pas exécutés dans les délais sans ouvriers.
Hassan EL ARIF